Une juge de la Cour du Quรฉbec a refusรฉ, cette semaine, d’entendre la cause d’une musulmane parce qu’elle portait un hijab auย tribunal.
Rania El-Alloul, une mรจre monoparentale de trois enfants, s’adressait au tribunal pour tenter de rรฉcupรฉrer sa voiture, saisie par la Sociรฉtรฉ d’assurance automobile du Quรฉbec. La juge Eliana Marengo lui aurait alors posรฉ une question ร laquelle elle ne s’attendaitย pas.
La magistrate a alors ajournรฉ la sรฉance et n’est revenue en salle d’audience que 30 minutes plusย tard.
La juge Marengo a dรฉclarรฉ ร son retour que les tribunaux sont des lieux sรฉculiers et dรฉpourvus de symboles religieux, pour des raisons de dรฉcorum. ยซย Il n’y en a ni sur les murs, ni sur les gensย ยป, a expliquรฉ la juge ร Raniaย El-Alloul.
La juge a poursuivi en soulignant que le dรฉcorum ร la cour รฉtait important et que, pour cette raison, les chapeaux et les lunettes de soleil n’รฉtaient pasย permis.
ยซย Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement des foulardsย ยป, a conclu la juge, qui a dit vouloir appliquer les mรชmes rรจgles pour tout leย monde.
ยซย Dans ces circonstances, je ne vous entendrai pas si vous portez ce foulard, tout comme je ne permettrais pas que l’on porte un chapeau ou des lunettes sur la tรชte ou tout autre accessoire qui ne convient pas ร la courย ยป, a conclu laย magistrate.
Rania El-Alloul a refusรฉ de retirer son foulard, plaidant qu’elle le porte depuis de nombreuses annรฉes. Elle a ajoutรฉ qu’elle รฉtait venue en cour simplement pour tenter de reprendre saย voiture.
Elle quite la cour sans รชtre entendue
La juge n’a pas donnรฉ suite ร ses arguments, elle a proposรฉ ร Rania El-Alloul de reporter la cause, le temps que celle-ci puisse consulter un avocat. Mme El-Alloul, qui vit de prestations d’aide sociale, a informรฉ la cour qu’elle n’avait pas les moyens de faire appel aux services d’unย avocat.
Dรฉsemparรฉe, elle a quittรฉ la cour sans pouvoir รชtreย entendue.
L’รฉchange avec la juge Marengo a secouรฉ Mme El-Alloul, qui a confiรฉ qu’elle a beaucoup pleurรฉ aprรจs son passage ร la cour. ยซย Tout mon entourage est รฉbranlรฉ par cette affaireย ยป, a-t-elleย relatรฉ.
Mme El-Alloul ajoute qu’elle est venue au Canada ร la recherche de paix et de justice. Elle porte son hijab depuis le jour de son arrivรฉe. ยซย Mรชme quand j’ai prรชtรฉ serment, le jour oรน j’ai obtenu ma citoyennetรฉ canadienne, je portais mon hijabย ยป, se rappelle Raniaย El-Alloul.
Qu’en pensent les juristes?
Au bureau de la juge en chef, Elizabeth Corte, on indique qu’il n’existe pas de directives quant au port de symboles religieux au tribunal. Il revient ร chaque juge d’exercer sa discrรฉtion sur ce qui est convenable de porter en salleย d’audience.
Cependant, tous les juristes consultรฉs sont d’avis que la juge รliana Marengo a confondu un certain nombre deย principes.
Tout d’abord, le souci de respecter le dรฉcorum peut difficilement รชtre invoquรฉ pour รฉcarter un droit protรฉgรฉ par la Charte canadienne des droits etย libertรฉs.
Qui plus est, les symboles religieux ne sont pas interdits en cour, et si d’aventure une charte de la laรฏcitรฉ รฉtait adoptรฉe, ce ne seraient pas les bรฉnรฉficiaires de services qui seraient visรฉs par une interdiction, mais bien les reprรฉsentants de l’รtat – les juges, parย exemple.
Rania El-Alloul songe ร porter plainte contre la juge Eliana Marengo au Conseil de la magistrature du Quรฉbec pour cet affront qu’elle a du mal ร ย comprendre.