L’innovation la plus caractéristique du passage vers le nouveau système comptable financier réside indubitablement dans l’intégration au sein de celui-ci d’un cadre conceptuel.
En effet, les concepts, règles, principes et conventions devant présider à
l’élaboration des états financiers sont désormais définis quasiment de la même manière que dans le cadre conceptuel de l’IASB promulgué depuis 1989.
Ceci constitue en soi un saut qualitatif dans la mesure où les investisseurs, qui occupent le premier rang des destinataires de l’information financière, bénéficieront d’une meilleure
visibilité à travers l’écran d’Etats financiers devant privilégier la réalité économique au détriment de la seule apparence juridique.
Cependant, l’introduction d’une nouvelle philosophie véhiculée par la mise à l’écart
progressive du principe de prudence et de son corollaire le coût historique, à la faveur de la juste valeur risquera de ne pas emporter, en raison de sa complexité, l’adhésion des
professionnels de la comptabilité. Dans cet ordre d’idées, nous tenterons à travers
la présente synthèse de faire la lumière sur une autre nouveauté aussi importante
et complexe que celle de l’impôt différé. Notons de prime abord que l’impôt sur le revenu est né en France durant la première guerre mondiale, période cruciale au cours de laquelle il fallait soutenir l’effort de guerre (Richard et Collette, 2005). Dans ses
débuts, la comptabilité usuelle était admise comme procédé pour déterminer le résultat fiscal sans retraitement.
Cependant, à mesure que les besoins de financement se sont accrus, keynésianisme oblige, les Etats (notamment en Europe continentale) ont favorisé progressivement la comptabilité fiscale au lieu de la comptabilité dynamique qui offre pourtant plus d’intérêt en matière d’information financière.
L’impôt sur le revenu qui est géré jusque-là exclusivement sous l’angle «impôt exigible» sera dorénavant lesté d’un impôt différé dont les promoteurs se recrutent parmi les experts qui se sont longtemps plaint des interférences du fisc dans la reddition des comptes.
L’objectif ultime de l’impôt différé consiste donc à gommer les distorsions entre le comptable» et le «fiscal».
En fait de distorsions, il s’agit plus exactement de décalage temporel/temporaire entre la valeur comptable d’un actif ou d’un passif et sa base fiscale. Il convient donc d’exclure de ce dispositif l’impact de certaines règles fiscales tendant à restreindre la déduction de certaines charges (amortissement des véhicules de tourisme, plafonnement de la déduction des dons,sponsoring,…) ou au contraire, à affranchir de l’impôt sur le bénéfice de certains produits (quote-part non imposable de la plus-value professionnelle).
Ces différences sont en effet permanentes et irréversibles. Les situations de décalage temporelles donnent lieu, selon les cas, à une créance d’impôt ou à une dette d’impôt.
Les professionnels vont devoir enregistrer au bilan et au compte de résultat un impôt différé actif dès lors que la valeur comptable d’un actif est inférieure à sa base fiscale à la clôture de l’exercice.
C’est le cas d’une charge inscrite en comptabilité au cours d’un exercice mais dont la déduction n’est autorisée fiscalement qu’au titre des exercice suivants. Nous pouvons citer en exemple la participation des salariés aux résultats de l’entreprise, en vigueur notamment dans la législation fiscale française.
L’IMPÔT DIFFÉRÉ ACTIF : UNE CRÉANCE D’IMPÔT
Le report déficitaire constitue également une source d’impôt différé actif dans la mesure où il est probable que l’entité réalisera des bénéfices futurs sur lesquels s’imputera le déficit constaté à la clôture de l’exercice. Ainsi, un déficit de 100 doit s’analyser comme une perte nette de 75 et un impôt différé actif de 25 (sur la base d’un impôt sur le revenu de 25%). Au cours de l’année suivante, si l’entité réalise un bénéfice de 100, elle créera un impôt fictif de 25 qui compensera par le jeu des déductions extra comptables l’impôt différé actif de l’année précédente.
Les crédits d’impôt reportables, une sorte de sursis d’impôt, accordés à certaines entreprises dans le cadre de dispositions fiscales particulières (recherche, formation,…) constituent aussi une situation d’impôt différé actif.
Notons que le code des impôts directs algérien ne prévoit pas encore de dispositions de ce
genre mais la législation fiscale peut évoluer dans ce sens.
L’IMPÔT DIFFÉRÉ PASSIF : UNE DETTE D’IMPÔT
La variable «temps» joue un rôle essentiel aussi bien en comptabilité qu’en fiscalité. Aussi,
l’expression «fait générateur » qui désigne le moment à partir duquel un événement ou une
transaction doit être comptabilisé/fiscalisé est incontournable pour quantifier un résultat ou un impôt à payer. Comme nous l’avons souligné plus haut pour l’impôt différé actif, l’impôt différé passif naît d’un décalage temporaire entre la valeur comptable et la base fiscale d’un passif.
Autrement dit, un produit constaté au cours de l’année devrait être, en bonne règle, fiscalisé au cours de la même année si on étendait au domaine fiscal le principe comptable de l’engagement. Or, ce n’est pas fiscalement vérifié dans tous les cas, attendu que
l’administration fiscale peut autoriser les entreprises à différer le payement de l’impôt sur le
revenu au titre de certains produits jusqu’au moment de leur encaissement ; c’est notamment le cas des produits financiers courus mais qui ne sont imposés qu’à la date de l’échéance. Il est vrai que cette situation est déjà vérifiée en matière de TVA ou les opérations de prestations de services et les travaux de bâtiment ne sont soumis qu’au moment de l’encaissement total ou partiel du produit.
Par ailleurs, la réévaluation à la juste valeur des immobilisations génère un impôt différé passif dans la mesure ou la plus-value latente n’est pas fiscalisée.
C’est-à-dire qu’il faut s’attendre à ce que la plus-value dégagée lors de la sortie de l’actif sera plus importante que si l’écart de réévaluation n’avait pas été constaté ; ce qui se traduira par un impôt supplémentaire que l’entité va devoir acquitter dans l’avenir et dont la contrepartie se trouve dans les capitaux propres et non pas dans le résultat comme dans les autres cas puisque l’écart de réévaluation est lui-même imputé dans les capitaux propres.
EVALUATION ET PRÉSENTATION DES IMPÔTS DIFFÉRÉS
Les impôts différés sont évalués à la fin de chaque exercice au taux attendu sur l’exercice au cours duquel l’actif sera réalisé ou le passif réglé (méthode du report variable). Les
changements de taux de l’impôt affectent le résultat ou les capitaux propres selon que la
variation concerne des évènements qui avaient un impact soit sur le résultat, soit sur les
capitaux propres.
Les créances et les dettes d’impôt différé sont présentées en actifs/passifs non courants
distinctement des créances et des dettes d’impôt exigibles et des autres éléments d’actif et de passif sans tenir compte de l’actualisation. D’autre part, la compensation entre impôts différés
actifs et passifs n’est autorisée que dans le cas ou la compensation est légalement autorisée et que les dettes et les créances en question relèvent de la même administration fiscale. A la lumière de ce bref aperçu, il ressort que la gestion de l’impôt différé recèle quelques difficultés de compréhension puisque celui-ci ne correspond pas concrètement à un impôt que l’entité va devoir payer ou à une somme que l’administration fiscale va lui rembourser dans l’avenir ; il s’agit tout au plus d’une « construction intellectuelle» (Vernimmen 2009) destinée essentiellement à exiger des états financiers à présenter l’image fidèle à travers l’information la plus exhaustive qui soit de la situation patrimoniale et financière de l’entité. Cet aspect met en évidence le caractère intentionnel et prospectif, jusque-là méconnu dans notre raisonnement
comptable. Cette complexité a d’ailleurs fait que le PCG français n’a adopté la méthode de
l’impôt différé que pour les comptes consolidés.
Enfin, l’absence d’une documentation en la matière, le cadre légal algérien se contentant de fixer les repères, obligera nos professionnels à chercher les développements relatifs à la
gestion de ce volet dans les normes comptables internationales (notamment la norme IAS
12) d’une part et dans les ouvrages spécialisés édités exclusivement à l’étranger et dont la
publication par des experts nationaux est vivement attendue.