Personnage de roman, aussi redouté que controversé, l’avocat français Jacques Vergès, décédé jeudi dernier à Paris à l’âge de 88 ans s’était imposé comme le défenseur de personnalités condamnées par l’Histoire au motif que, selon lui, «les poseurs de bombes sont des poseurs de questions». Il était considéré comme l’avocat le plus engagé dans la lutte anti-colonialiste.
Abder Bettache – Alger (Le Soir)
Jacques Vergès est né le 5 mars 1925 à Oubone, en Thaïlande, où son père, Raymond, était consul de France. «Je suis né d’un père vagabond, ingénieur agronome en Chine, professeur à Shangaï, consul et médecin», a raconté l’avocat dans Le salaud lumineux (Michel Lafon). Khang, sa mère vietnamienne a eu deux enfants : Jacques et Paul.
De petite taille, rond, le visage lisse et ironique, portant de fines lunettes rondes et une coupe en brosse, cet amateur de cigares et collectionneur de jeux d’échecs, auteur d’une vingtaine de livres, était proche de personnalités politiques du monde entier mais aussi de militants de l’ombre. Il s’était rendu célèbre par sa «défense de rupture» — consistant à se servir du tribunal comme d’un porte-voix — adoptée durant la guerre d’Algérie quand il était l’avocat de militants du FLN. «Entre les Algériens et moi, ce fut le coup de foudre», avait lancé l’avocat Jacques Vergès, alors qu’il venait de «débarquer» en Algérie pour défendre l’emblématique moudjahida et militante du FLN, Djamila Bouhired.
Il épousera d’ailleurs Djamila Bouhired, héroïne de la guerre d’indépendance et poseuse de bombes condamnée à mort mais graciée. «J’aurais défendu Hitler», clamait ce bretteur en colère, pour ne pas dire en guerre, contre «les bonnes intentions, les procès truqués et l’ordre mondial». «Quand un homme traqué frappe à ma porte, c’est toujours pour moi un roi dans son malheur», ajoutait celui que Barbet Schroeder a dépeint dans un film comme «l’avocat de la terreur».
Ses clients avaient un point commun : ils faisaient en général l’unanimité contre eux en Occident, à l’instar de membres de l’internationale terroriste des années 1970 et 1980, du «révolutionnaire» vénézuélien Carlos, de l’activiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, du criminel de guerre nazi Klaus Barbie, du dictateur yougoslave Slobodan Milosevic ou de l’ancien dirigeant Khmer rouge Kieu Samphan.
Quelques mois avant la fin du Libyen Mouammar Kadhafi, il s’était porté volontaire avec l’ancien ministre Roland Dumas pour déposer plainte pour «crimes contre l’humanité» contre le président français Nicolas Sarkozy dont le pays a pris la tête des opérations de la coalition internationale en Libye.
Conseiller de feu Ahmed Ben Bella après l’indépendance de l’Algérie — dont il prend alors la nationalité —, il rentre en France pour embrasser les causes internationalistes, celle de la Chine maoïste, en créant le périodique «Révolution», et celle du FPLP palestinien.
A la question, «comment peut-on être l’avocat de Saddam Hussein ?» posée par le quotidien France Soir en 2004, il avait répondu : «Défendre Saddam n’est pas une cause perdue.
C’est défendre (le président américain George W.) Bush qui est une cause perdue». De nombreux avocats français ont témoigné de leur admiration à l’égard de ce «géant» du barreau, comme Isabelle Coutant-Peyre, avocate de Carlos, qui a débuté en 1981 à ses côtés.
«Cela a été une chance incroyable», a-t-elle déclaré à l’AFP, «il avait une vision politique exemplaire du métier d’avocat et une expérience unique dans les grandes luttes du XXe siècle».
Témoignages
Noureddine Benissad :
«Maître Jacques Vergès est ce qu’on appelle un avocat engagé. Il a toujours défendu l’homme contre la machine judiciaire prête à le broyer, il a toujours ramé à contre-courant du «politiquement correct», ce qui lui a valu des lynchages médiatiques. A chaque rencontre avec lui, il n’a cessé de me prodiguer des conseils comme son fils et de m’encourager dans la noble tâche de défendre son prochain quelles que soient les circonstances. C’était un grand avocat et un grand homme. Il avait fait partie des avocats qui ont inscrit leurs noms en lettres d’or dans l’histoire des barreaux».
Miloud Brahimi :
«Je l’ai très bien connu en tant qu’admirateur d’abord et en tant que confrère. Nous avons plaidé ensemble devant plusieurs juridictions. C’est un géant. C’est un homme qui a des idées et des principes. On ne peut pas le réduire à sa simple profession d’avocat. Il a connu la célébrité par sa défense des militants du FLN. Il est resté fidèle à l’Algérie. Après sa disparition de neuf ans, c’est moi qu’il l’ai ramené en Algérie. D’ailleurs, juste après, il a animé une conférence de presse à l’hôtel Aurassi où il a longuement parlé de l’affaire Barbie».
A. B. le soir