La nouvelle mouture de la loi sur les hydrocarbures, amendรฉe en janvier 2013 et publiรฉe au Journal officiel le mois de fรฉvrier suivant, ouvre la voie ร lโexploitation de gaz de schiste. Avant et aprรจs lโadoption des nouveaux articles, des voix se sont รฉlevรฉes pour dรฉnoncer lโaventurisme du pouvoir. Menaces de pollution des eaux souterraines, aucune rentabilitรฉ รฉconomique, larges concessions qui seront accordรฉes aux multinationales ect., autant dโarguments avancรฉs par les opposants ร cette exploitation. Quant aux agriculteurs du pays, une poignรฉe dโentre eux exigent des garanties ou, tout simplement, que le gouvernement abandonne la perspective dโexploiter les รฉnergies fossiles non conventionnelles.
Dans les rรฉgions du Touat et du Gourara, au sud-ouest du pays, lโeau, la terre et les fortes chaleurs ont รฉtรฉ dominรฉes par des hommes, qui ont mis leur ingรฉniositรฉ au service de lโagriculture.
ยซLe projet dโexploitation de gaz de schiste, dรฉcidรฉ par le gouvernement, met en pรฉril lโagriculture dans le Saharaยป, estime Hโmed, rรฉsidant ร Alger et dont le pรจre est propriรฉtaire dโune centaine de palmiers ร Timimoun. Aprรจs des recherches approfondies, et des consultations diverses sur le Net, il affirme que ยซla technique de fracturation hydraulique, le seul procรฉdรฉ existant ร ce jour pour permettre aux pores de gaz de schiste de sโรฉchapper de la roche de mer, reprรฉsente le plus grand danger sur les nappes phrรฉatiques et albienne, lโun des plus grands rรฉservoirs dโeau douce dans le mondeยป. Hโmed nโest pas le seul ร mettre en relief ces craintes. Des agriculteurs dans le Sud mesurent le danger qui les guette. Ils cherchent des canaux pour porter leurs voix. Ils veulent que leur souci soit soulevรฉ dans la sphรจre publique.
Menaces de pollution sur les nappes
Dans le Gourara, les oasis sont alimentรฉes par un systรจme dโirrigation qui fonctionne depuis des millรฉnaires, les foggaras. Les populations les ont, depuis des siรจcles, entretenues. Dessiner des routes dโacheminement dโeau depuis les nappes et des sources des montagnes de lโAtlas saharien nโa pas รฉtรฉ une vaine entreprise pour les premiers occupants de la rรฉgion. Au fil des siรจcles donc, et avec lโapport dโune main-dโลuvre originaire de lโancien Soudan (actuels Mali, Niger, Tchad, Sรฉnรฉgal), les Zรฉnรจtes, peuple amazigh, ont pu permettre lโรฉmergence dโune vie dans un environnement trรจs austรจre. En construisant les foggaras, les palmeraies ne manquent pas dโeau. Des cultures maraรฎchรจres ont รฉgalement รฉtรฉ dรฉveloppรฉes pour permettre aux villageois de vivre de leur production. Ils ont acquis une entiรจre indรฉpendance vis-ร -vis des grandes villes de lโAfrique du Nord. Lโautosuffisance alimentaire รฉtait assurรฉe.
A Timimoun, la capitale du Gourara, les indรฉcis quant ร lโexploitation de gaz de schiste essayent de sensibiliser les populations, les agriculteurs particuliรจrement. Ils veulent que les autoritรฉs se rรฉtractent. Ils rappellent que seule lโeau permet la vie dans ce dรฉsert.
En contaminant les nappes phrรฉatiques et albiennes ร cause de lโutilisation de centaines de produits chimiques, ils craignent de fรขcheuses consรฉquences sur le tissu social de tout le Grand-Sud. Ali, un ex-cadre dans le secteur du tourisme ร Timimoun, est de ceux qui sโopposent ร lโexploitation de gaz de schiste dans le Sud algรฉrien, et mรชme ailleurs. ยซLe gouvernement ne donne aucune garantie. Lโexploitation de gaz de schiste est destructrice pour lโenvironnement. Grรขce ร internet, nous constatons les dรฉgรขts enregistrรฉs en Pennsylvanie aux Etats-Unis.
Les entreprises exploitant cette source fossile ont causรฉ des malheurs ร leur propre population. En Pologne, des agriculteurs ont perdu leur terre fertile. Nous ne voulons pas que ce massacre se reproduise chez nous. Si le gouvernement persiste dans cette optique, on peut dire que ce sera la fin pour le tourisme et lโagriculture dans notre rรฉgion.ยป Le procรฉdรฉ dโexploitation de gaz de schiste a effectivement commis des dรฉgรขts irrรฉversibles. A la diffรฉrence des Etats-Unis, qui possรจdent des eaux de surface considรฉrables, les eaux des nappes phrรฉatiques et albiennes en Algรฉrie ne sont pas renouvelables. Cette ressource hydrique est le rรฉsultat de lโaccumulation, depuis des milliers dโannรฉes, des eaux pluviales. Aujourdโhui, laย pluviomรฉtrie dans le dรฉsert est quasi insignifiante. Dans les rรฉgions du Touat et du Gourara, les habitants ne connaissent la pluie quโune fois tous les cinq ans.
En dรฉambulant dans les palmeraies et les dchour (villages) de la rรฉgion de Timimoun, le visiteur est รฉbahi par la beautรฉ des lieux. Si Timimoun est considรฉrรฉe comme la perle du Sud, il est certain quโelle nโa pas volรฉ son nom. Outre la magnificence des sites touristiques, lโagriculture donne un cachet รฉdรฉnique. Sโajoute ร la phลniciculture, les lรฉgumes comme les tomates, les choux-fleurs, le piment, la coriandre, les carottes, et autres lรฉgumineux sont rรฉcoltรฉs dans ces oasis.
Manque de communication
Lโeau sillonne les seguias (conduite dโirrigation). Dans chaque oasis, elle est acheminรฉe vers la multitude des jardins. Elle provient principalement du plateau de Tadmaรฏt, comme lโexplique Moussa, un ancien hydraulicien aujourdโhui ร la retraite. ยซLes maรฎtres de la foggara ont inventรฉ, dans les temps anciens, un systรจme pour ramener lโeau des profondeurs. Une fois ร lโentrรฉe des palmeraies, lโeau est รฉquitablement distribuรฉe grรขce ร la kassria (rรฉpartiteur). Cโest une sorte de plateforme qui garantit ร tout agriculteur de bรฉnรฉficier dโun dรฉbit dโeau nรฉcessaire pour sa culture.ยป Pour Kamel, un agriculteur du village Ouled Saรฏd, cโest le grand regret et lโรฉtonnement. ยซSi nos ancรชtres ont mis tout leur savoir-faire pour permettre ร nos oasis de profiter dโune eau douce, pourquoi les dirigeants du pays veulent exploiter une source dโรฉnergie qui risque de nous appauvrir et de nous contraindre ร quitter nos villages ?ยป
Cette consternation est partagรฉe par un agriculteur de Ougrout, une autre oasis, situรฉe ร mi-chemin entre Timimoun et Adrar. ยซUne fois, mon fils mโa rapportรฉ un article de presse qui mโa beaucoup fait peur. Lโexploitation de gaz de schiste pollue les nappes. Dโaprรจs ce que jโai compris, lโutilisation de produits chimiques pour fracturer la roche afin de libรฉrer le gaz emprisonnรฉ, pollue les eaux, puisque les forages rรฉalisรฉs traversent les nappes. Si tel est le cas, nous ne voulons pas de ce projet dans notre rรฉgion, ni dans le pays, puisque ces produits chimiques se dispersent.ยป
Les propos de ces agriculteurs, sensibilisรฉs par leurs proches ou par des militants, sont synonymes de coups de poing ร ceux qui considรจrent que les citoyens algรฉriens sont ignorants, et quโil est facile de les berner. Mรชme si ce ne sont pas tous les agriculteurs qui sont au fait du dossier, la sensibilisation suit son cours.
Des alternatives existent
Mohamed travaille dans lโadministration. Il suit de trรจs prรจs le sujet relatif ร lโexploitation de gaz de schiste. Il est rรฉvoltรฉ contre le jusquโau-boutisme du gouvernement, qui veut coรปte que coรปte entreprendre lโextraction dโhydrocarbures non conventionnels. ยซIl existe dans notre rรฉgion des centaines dโoasis. Elles font travailler des milliers de personnes. Une fois les eaux des nappes polluรฉes, cela signifiera la fin de lโagriculture. Que feront les habitants ? Il ne leur restera que lโexode. Ils ne pourront pas rester ici, puisque les produits chimiques utilisรฉs dans la technique de fracturation peuvent provoquer des maladies, des cancers. Lโeau ne sera plus potable. Donc, la seule solution, cโest de ne pas exploiter ce gaz de schiste, qui est dรฉsormais notre vรฉritable cauchemar. Il existe des alternatives. Les eaux des nappes sont la vรฉritable richesse de ce pays. Au lieu de cette exploitation, le gouvernement ferait mieux de multiplier les projets agricoles dans le Sahara. Cela crรฉerait des postes dโemploi permanents et pourrait permettre au pays dโen finir avec les importations de denrรฉes alimentaires. Cette eau est le vรฉritable moteur de dรฉveloppement du pays.ยปย Dans la capitale du Touat, Adrar, les palmeraies se situent dans divers villages entourant le chef-lieu de la wilaya.
Dans les anciens ksourย (vieilles forteresses) les agriculteurs comptent beaucoup sur le dynamisme de Mohad Gasemi, le prรฉsident du bureau rรฉgional de lโAssociation de promotion de lโactivitรฉ agricole (APAA). A la diffรฉrence des agriculteurs approchรฉs, restรฉs timides et craignant des reprรฉsailles, mรชme imaginaires, Mohad est rรฉsolu ร militer avant quโil ne soit trop tard, avec photos et vidรฉos ร lโappui : ยซLe Gourara et le Touat, le Mโzab et les Zibans sont connus pour avoir dรฉveloppรฉ une agriculture durable et respectueuse de lโenvironnement, malgrรฉ des conditions climatiques trรจs hostiles. Nos ancรชtres ont dรฉveloppรฉ dans la rรฉgion dโAdrar des systรจmes dโirrigation qui ont permis ร toutes les populations de se nourrir grรขce ร leurs propres efforts. Lโexploitation de gaz de schiste dรฉtruira tout ce trรฉsor.
Les produits chimiques qui seront utilisรฉs dans la fracturation hydraulique pollueront toutes les nappes du pays, puisque les bassins hydriques sont interconnectรฉs. Au lieu dโinvestir dans un projet destructeur, qui dโailleurs nโest pas rentable รฉconomiquement, il serait plus judicieux dโinvestir dans les ressources humaines locales. Outre le tourisme, je ne vois que le secteur de lโagriculture ร dรฉvelopper dans notre rรฉgion, entre autres les cรฉrรฉales et le maรฏs. Avec le soleil rรฉgulier, et lโeau ร profusion, les rรฉcoltes peuvent รชtre triplรฉes dans le pays.ยป Pour sa part, Ahmed, fils dโune famille dโagriculteurs, indique quโaucun reprรฉsentant du gouvernement ou de lโautoritรฉ locale nโa daignรฉ venir expliquer le futur projet.
ยซIls pensent (les dirigeants) que les habitants sont idiots. Il est vrai quโil nโy pas une grande sensibilisation, mais il est certain que si tous les habitants apprennent les dangers de lโexploitation de gaz de schiste sur les nappes, le projet sera refusรฉ. Je sais quโun puits est en exploration ร Sidi Youcef, ร 15 km dโAdrar. Le jour oรน il y aura plusieurs puits, il est รฉvident que les populations seront mรฉcontentes, car on aura touchรฉ ร leur principale ressource.ยป
wDevant ce scepticisme, les agriculteurs du Gourara et du Touat espรจrent la prรฉservation des nappes, pour un avenir meilleur.