Son fondateur, Amine Menadi, 31 ans, a bien voulu revenir sur cette expérience fort emblématique des nouvelles formes militantes induites par les réseaux sociaux. Amine a commencé à militer au sein de l’association Solidarité nationale estudiantine (SNE) alors qu’il suivait des études de commerce international et de management à l’université de Blida. Enfant de Bou Ismaïl, il doit beaucoup aussi, dans sa formation militante, à l’association culturelle El Ismaïlia. Question généalogie politique, Amine Menadi a grandi dans un milieu FLN, «mais dans une approche plutôt à la Mehri», précise-t-il. «Le FLN, c’est une histoire de famille chez nous», confie-t-il en évoquant le martyrologe familial lié à la guerre de Libération nationale. Le nom d’Amine Menadi jaillit à la surface médiatique à la faveur des émeutes de janvier 2011.
Son engagement, au tout début, tenait plus «de la réaction que de la réflexion», souligne-t-il. «Quand je voyais les jeunes de mon quartier, mes voisins à Bou Ismaïl, qui sortaient dans la rue pour crier leur colère et qu’on les accueillait avec des lacrymos et des balles, ça m’a fait réagir.»
Comment est né Algérie pacifique ? Dans un premier temps, Amine Menadi adhère au groupe Envoyés spéciaux algériens qui relayait les événements dont la presse ne rendait pas forcément compte. Il est également très actif sur les réseaux sociaux. Il lance un appel pour la tenue d’un sit-in le 13 janvier 2011. «C’est alors que j’ai pensé à quelque chose de fédérateur. Je me suis dit : on est en train d’appeler à des actions pacifiques et j’ai naturellement pensé : Algérie pacifique.» L’action mobilise quelque 200 personnes, se souvient-il. A partir de cette initiative, Amine redouble d’ardeur et se lance dans une autre action, cette fois conjointement avec un autre collectif qui avait vu le jour sur FB : le Mouvement de la reconquête citoyenne.
Un rassemblement est organisé le 15 janvier, place de la Liberté de la presse. Au fil des actions, Amine se découvre une nouvelle responsabilité à laquelle il n’était guère préparé : «Les gens venaient me voir et me disaient : on veut adhérer à Algérie pacifique. Sauf qu’il n’y avait pas de structure, il n’y avait que moi…» Amine sera très vite porté sur le pavois avec la naissance de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). «Je ne m’attendais jamais à ce qu’un jour, je sois placardé sur un magazine français (L’Express, ndlr) qui me désigne parmi les six opposants les plus actifs en Algérie. Je me retrouve aux côtés d’un Ali Yahia Abdennour que je ne voyais qu’à la télé. Ça me faisait bizarre. Je suis la preuve vivante de la défaillance politique dans ce pays. Ce n’est pas normal qu’un gars qui lance une action de 200 bonhommes en deux jours devienne du jour au lendemain une icône de la résistance citoyenne en Algérie !» Finalement, ce nouveau statut, il va le prendre à bras-le-corps, multipliant conférences, sit-in et manifs à travers plusieurs wilayas. «J’ai compris qu’il y avait un énorme travail à faire. Qu’il fallait se projeter à moyen et long terme plutôt que de se dire on va provoquer le changement tout de suite», tempère-t-il.
«Il faut travailler la société en profondeur»
Aujourd’hui, Amine Menadi a pris du recul et penche plutôt pour un think tank «à la manière de Nabni», privilégiant la réflexion à l’activisme intempestif. «Moi je milite pour un printemps algérien qui s’étale sur 10 ans, sur 20 ans… Il faut travailler la société en profondeur, pas d’une manière saisonnière, parce que le printemps de cette année sera éclipsé par l’hiver d’après, et ça ne m’intéresse pas», analyse «Monsieur Algérie pacifique», avant de reprendre : «On a inspiré des peuples du monde entier, on n’a pas de leçon à recevoir. On a fait tellement de révolutions ! C’est un pays en révolte depuis la Kahina. On ne s’est jamais arrêtés. L’année dernière, il y a eu 9000 foyers de tension. La révolution est en cours, mais il faut qu’elle soit encadrée.» Et de lâcher : «On assiste à un délire collectif. Chacun pense que c’est lui le chef.
En 2011, il faut voir : j’étais entouré de Ben M’hidi. Tout le monde se prenait pour Ben M’hidi. On se croit tous des Che Guevara !»
Amine préfère s’investir désormais sur le terrain social et culturel. C’est ainsi qu’il a lancé, à Bou Ismaïl, une initiative baptisée «Le grand frère». «C’est un accompagnement qu’on offre via de jeunes cadres qui ont réussi, qui vont dans des écoles, dans des associations pour apprendre aux jeunes certaines choses et leur parler de leur expérience. Vous avez des jeunes qui sortent du lycée ou même de la fac et qui ne savent même pas rédiger correctement un CV.» Amine envisage également de monter un one man show humoristique et de créer un festival dont il tient déjà le titre : «Drôlement sérieux». C’est vrai que la politique, parfois, prête sérieusement à rire…