Lu en quatrième de couverture, ce passage très significatif de la profondeur du travail effectué par l’auteur de l’essai : «Benaouda Lebdai est un passionné de l’Afrique et de ses littératures. Ainsi, son désir de rencontrer des écrivains africains s’est imposé à lui au fil des ans, afin d’échanger et partager des idées et surtout faire connaître au grand public ceux qu’il nomme les ‘’griots post-coloniaux’’».
Dans la préface de son ouvrage, l’auteur, d’ailleurs, s’en explique fort bien en ces termes : «La littérature m’a toujours passionné, en particulier les textes de fiction africains, qui sont devenus mon domaine de recherche universitaire. La création littéraire m’interpelle dans ce qu’elle a de plus généreux, dans la manière dont elle dit le monde, ce qui stimule ma fascination pour les romanciers, ces griots des temps modernes, ces créateurs de style d’écriture, ces créateurs d’histoires dans l’Histoire. Le désir de rencontrer les romanciers africains, ces conteurs post-coloniaux s’est imposé à moi naturellement pour discuter, échanger et partager des passions communes, celles des mots. Cet ouvrage est une conséquence logique de toutes ces rencontres humaines, textuelles et d’études critiques.
L’essai en question est donc le fruit de rencontres littéraires avec nombre d’auteurs africains de différentes nationalités. Et son auteur, professeur des universités et spécialiste en littératures comparées africaines coloniales et post-coloniales, a tenu à ce que chaque entretien soit suivi de réflexions critiques soit sur l’écrivain interviewé, soit sur d’autres écrivains comme Kateb Yacine, Alain Mackanbou, Assia Djebar, Maurice Tarik Maschino, Nadine Gordimer, Chinua Achebe, Doris Lessing, Hamid Skif, Gabriel Okoundji, Felvine Sarr ou Chimanda Ngozi Adichie. Ce qui interpelle dès lors, dans l’essai de Benaouda Lebdai, c’est que dès les premières lignes, on devine qu’on se tient au seuil d’un ouvrage peu conventionnel : «c’est un peu comme s’il n’y a pas de majuscule en début de phrase ni de point à la fin.» Remonter à l’origine du mythe a, pour ainsi dire, nécessité chez Benaouda Lebdai une sorte d’immersion dans au moins trois magmas psychiques : l’inconscient collectif qui alimente la fiction littéraire africaine, l’inconscient du griot ; et, bien évidemment, celui de l’écrivain qui déborde les deux premiers cités. Au-delà de l’escouade d’auteurs africains partis à la reconquête des lettres africaines, certains membres cité par l’auteur s’affublent, naturellement, dirions-nous, d’une «clinquante bannière» autobiographique ; ce qui d’ailleurs fait dire à l’auteur : «Au-delà des textes, pour le critique littéraire que je suis, l’auteur n’est pas mort comme l’ont voulu et décidé quelques théoriciens post-structuralistes du ‘’Nouveau Roman’’ comme Roland Barthes, Alain Robbe-Grillet ou Michel Foucault. En effet, derrière le texte, l’auteur existe dans la mesure où il a pris le parti de raconter une histoire, de dévoiler son monde, sa perception de la vie, de sa société, de son univers psychologique, politique, voire idéologique. Le rôle de l’écrivain est sans aucun doute significatif comme l’ont affirmé les romanciers Chinua Achebe, Nadine Gordimer, Alain Mabanckou ou Rachid Boudjedra».
« Ces romancières et ces romanciers d’exception »
Et l’auteur d’ajouter en substance : «J’ai voulu comprendre les motivations, les histoires personnelles, les désirs à vouloir écrire de la fiction et continuer à le faire encore et encore, des écrivains que j’ai eu l’honneur de rencontrer. Cet ouvrage est le résultat de tous ces rendez-vous littéraires que j’ai eus avec ces romancières et ces romanciers d’exception au fil des années». Benaouda Lebdai citera à ce titre bon nombre de romanciers rencontrés et interviewés en différentes villes d’Afrique et d’Europe et notamment : «à Alger (Maissa Bey, Tahar Bekri, Rachid Boudjedra, Samir Toumi, Ryad Girod), à Boudouaou (Rachid Mimouni), à Tamanrasset (Tierno Monenembo), à Paris (Calixthe Beyala, Abdourahman Waberi, Abdelkader Djemai), à Casablanca (Kangni Alem), à Anvers (Victor Bouadjio, Mohamed Fellag, Julien Kilanga, Fadéla M’Rabet, Boualem Sansal, Nadia Sebkhi), à Malte (Denis Brutus), à Djanet (Jamal Mahdjoub) à CapeTown (André Brink, David Medalie), à Gaborone (Véronique Tadjo), à Dakar (Aminata Sow Fall), à Glasgow (Zoe Wicomb), à Montpellier (Malika Mokeddem)…
Ce que l’on peut retenir de l’éloquent message de Benaouda Lebdai, c’est ce dernier passage de sa préface où, dans la monde d’aujourd’hui, un monde post-colonial, il affirme sans ambages ni détour : «Soutenir une Afrique forte littérairement et culturellement, une Afrique qui s’assume sans complexe, une Afrique responsable qui se veut centrale dans ce monde global est une nécessité à l’orée d’un XXe siècle prometteur». Pour tout dire, cet ouvrage est riche de par son contenu —près d’une trentaine d’entretiens pointus suivis de réflexions—,c’est surtout une invitation à aller plus loin dans la découverte de littératures post-coloniales africaines à travers ses créateurs et ses romanciers.