Bouteflika a subi jeudi l’«épreuve» américaine. Attendue avec une impatience mêlée à la crainte d’une petite phrase incommodante, la visite du secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a été révélatrice des attentes du candidat-président. Il y a d’abord le décor. Abdelaziz Bouteflika a certes reçu le secrétaire d’Etat américain, mais il a pris le soin de s’entourer de son nouvel ange gardien, Ahmed Ouyahia et bien sûr de Ramtane Lamamra.Message subliminal : je suis malade mais il y a des hommes autour de moi pour faire avancer ce 4e mandat et plus si affinités… Ensuite, une image : Bouteflika, visiblement souffrant, articule difficilement quelques mots. La voix est à peine audible, y compris pour son interprète-sénatrice, forcée de tendre l’oreille pour capter les propos du Président. En face, John Kerry, l’allure d’un cow-boy, s’esclaffant, amusé sans doute par cet échange inédit avec un homme affaibli, mais qui tient à ce point à garder le pouvoir. Il a dû bien le «scanner». La scène est un peu pathétique pour qui se rappelle la formule fière et énergique du même Bouteflika : «Erfâa Rassek ya Ba !» (lève la tête !).
Jeudi, le chef de l’Etat a fait un immense effort pour se tenir debout devant Kerry. Cela en valait la peine face au représentant de la première puissance mondiale pour qu’il en ait, espère-t-on, le cœur net…
Ce n’était donc point un échange entre un chef d’Etat et un diplomate américain. Il s’agissait plutôt d’un exercice d’aptitudes physiques et intellectuelles.
Bouteflika enfin debout !
Le président Bouteflika voulait même garder John Kerry quelques jours en Algérie. Mais ce dernier lui a rétorqué que c’était impossible parce que «j’ai beaucoup de travail». Et à Bouteflika de l’inviter à passer une semaine en Algérie «quand vous aurez le prix Nobel de la paix»… C’était visiblement drôle pour John Kerry qui, lui aussi, fit l’effort de s’exprimer dans la langue de Molière. Ceci pour la forme.
Dans le fond, le secrétaire d’Etat américain n’a pas vraiment fait sensation dans ses propos, mis à part cette petite phrase sur son souhait de voir la présidentielle se tenir dans la transparence. N’ayant rien à se mettre sous la dent qui puisse signifier un hypothétique soutien américain au 4e mandat, l’agence officielle a cru bon de tordre le cou en français à la formule anglaise de Kerry, qui s’inscrit au futur est non point au présent.
C’était à peu près le seul fait saillant ayant donné un peu de relief à la visite du secrétaire d’Etat américain en Algérie, qui n’était pas venu pour donner un coup de pouce à Bouteflika.Pragmatiques, les Américains cherchent juste à s’assurer que leurs intérêts vitaux en Algérie, et plus généralement en Afrique du Nord, ne sont pas menacés.
That’s all folks !
Et de ce point de vue-là, le maintien de Bouteflika, même dans l’état où il est, n’est pas de nature à préoccuper outre mesure John Kerry, qui a eu sûrement des assurances sur la «stabilité du régime». Pour le reste, Abdelaziz Bouteflika suppliait presque son interlocuteur de «nous aider un peu plus», trouvant que l’investissement américain en Algérie était largement en deçà de ce qu’il devrait être.
En creux, Bouteflika suggérait à Kerry qu’il y a de l’argent à prendre en Algérie pour peu que vous nous laissiez en paix… Une offre traduite noir sur blanc dans le communiqué final sanctionnant la rencontre bilatérale de haut niveau coprésidée par MM. Kerry et Lamamra. Les deux y appuient «le développement du secteur de l’énergie de l’Algérie, notamment dans le domaine des technologies, des énergies renouvelables et des hydrocarbures non fossiles». Autrement dit, les Américains se sont dit disposés à fournir la technologie nécessaire à l’exploitation du très controversé gaz de schiste en Algérie. Aussi, Alger et Washington ont logiquement conforté leurs atomes crochus sur le thème de la lutte antiterroriste. Seul «produit» d’exportation, l’expérience algérienne dans la lutte contre le terrorisme au Maghreb et au Sahel a été saluée par John Kerry.
Algériens et Américains ont ainsi convenu de travailler pour «combattre ce fléau, de partager les informations et de lutter contre les enlèvements aux fins d’obtention de rançon». Un «métier» que l’Algérie exerce depuis le premier mandat de Bouteflika et qui reste encore le seul motif de satisfaction d’un régime qui cherche à légitimer un 4e mandat auprès des Américains, faute de pouvoir exhiber un bilan d’acquis démocratiques. That’s all folks !